Conformité proactive : du code IA aux guides NIS2, les nouveaux repères
Panorama d’outils pratiques pour anticiper les prochaines échéances réglementaires
✨ Introduction
Code européen de bonnes pratiques pour l’IA : un outil volontaire pour encadrer les modèles d’IA générative.
Cybersécurité : l’ENISA publie des guides pratiques pour mettre en œuvre la directive NIS2.
Données personnelles : la CNIL finalise son guide d’analyse d’impact pour les transferts hors UE.
Contenus en ligne : la justice valide le géoblocage comme modalité de retrait en France.
Régulation globale : les États-Unis renoncent à brider les législations locales sur l’IA.
Face à l’entrée en application de nouvelles règles numériques, les autorités misent sur des codes de conduite et des guides pratiques pour accompagner la conformité, tout en maintenant le cap réglementaire malgré les pressions et divergences internationales.
🗞️ Revue de presse
🟠 AI Act : un code volontaire pour encadrer les IA génératives
La Commission européenne a dévoilé le Code de bonnes pratiques pour les IA à usage général, élaboré avec 13 experts et 1 000 parties prenantes. Ce code volontaire vise à aider les fournisseurs de modèles comme ChatGPT ou Bard à anticiper les obligations du Règlement IA dès le 2 août 2025, notamment en matière de transparence et de droits d’auteur. Les signataires s’engageront à fournir une documentation technique complète aux entreprises intégrant leurs modèles, et à adopter une politique de copyright interdisant l’entraînement sur des contenus piratés ou refusés par leurs auteurs, tout en évitant que les outputs ne plagiient des œuvres protégées. En contrepartie, ils bénéficieront d’une réduction de la charge administrative et d’une sécurité juridique accrue pour prouver leur conformité : une sorte de « délai de grâce » avant l’application stricte de l’AI Act. Enjeux pratiques : ce code offre un cadre opérationnel aux acteurs de l’IA pour développer des systèmes plus sûrs et transparents sans attendre les contrôles officiels ; toutefois, son caractère non contraignant laisse entière la question de l’adhésion des géants du secteur.
Source : Commission européenne – « Le code de bonnes pratiques de l’IA à usage général est désormais disponible », communiqué, 10 juillet 2025 - digital-strategy.ec.europa.eudigital-strategy.ec.europa.eu.
🟠 NIS2 : l’ENISA délivre le mode d’emploi de la cybersécurité
Pour accompagner l’entrée en vigueur de la directive NIS 2 sur la sécurité des réseaux, l’agence européenne ENISA a publié deux guides techniques concrets.
Guide 1 : identifier les rôles-clés et compétences nécessaires à la conformité NIS2, en traduisant chaque obligation légale en profils métiers compréhensibles par les RH et RSSI – il s’appuie sur le référentiel European Cybersecurity Skills Framework pour aider les entreprises à planifier recrutements et formations.
Guide 2 : proposer une méthodologie pas-à-pas pour implémenter les exigences (politique de sécurité, gestion des risques et des incidents, continuité d’activité, sécurité de la supply chain, hygiène informatique, etc.).
Ces outils guident les nombreuses nouvelles entités soumises à NIS2 pour structurer leur gouvernance cyber et prioriser les mesures à prendre. Ils invitent à ne pas attendre la transposition nationale pour lancer les plans d’action, l’objectif étant de professionnaliser et harmoniser la résilience numérique dans tous les secteurs critiques.
Source : Solutions Numériques – « NIS2 : Deux guides de l’ENISA pour implémenter les exigences concrètement », Patrice Remeur, 4 juillet 2025 - solutions-numeriques.comsolutions-numeriques.com.
🔴 Transferts de données : la CNIL finalise son guide AITD
La CNIL a publié la version finale de son guide d’Analyse d’Impact sur les Transferts de Données (AITD), un outil attendu pour sécuriser les exportations de données hors UE après l’arrêt Schrems II. Ce guide pratique aide les responsables de traitement à évaluer les risques pays par pays et à documenter les garanties mises en place (clauses types, mesures techniques complémentaires) avant de transférer des données personnelles à l’étranger. Enjeux : désormais, toute entreprise qui transfère des données vers les États-Unis, l’Inde ou d’autres pays sans équivalence RGPD dispose d’une méthodologie officielle pour prouver sa diligence : identification des lois locales potentiellement intrusives, analyse du niveau de protection effectif, et choix de mesures (chiffrement, pseudonymisation, audits) pour compenser les écarts.
Cette démarche structurée renforce la conformité en cas de contrôle ; risque : un AITD mal conduit ou ignoré exposerait l’entreprise à des sanctions pour transfert illicite. En somme, ce guide s’impose comme la boussole des DPO et juristes IT pour naviguer dans la complexité des flux de données internationaux.
Source : CNIL – « Analyse d’impact des transferts de données (AITD) : la CNIL publie la version finale de son guide », 9 juillet 2025.
🟠 Dénigrement en ligne : le géoblocage vaut suppression
Un arrêt récent de la cour d’appel de Paris (13 juin 2025) apporte une nuance importante à la LCEN (Loi pour la confiance dans l’économie numérique) en matière de retrait de contenus illicites. Dans une affaire de commentaires dénigrants publiés sur une plateforme d’avis (Signal-Arnaques), l’hébergeur avait choisi de géobloquer ces messages en France, tout en les laissant accessibles à l’étranger. La société visée réclamait un effacement mondial, arguant que le blocage territorial reconnaissait implicitement le caractère illicite des propos. La cour d’appel a jugé que bloquer l’accès depuis la France équivaut légalement à une suppression au sens de la LCEN, dès lors que les utilisateurs français ne peuvent plus y accéder. Elle rappelle aussi la frontière entre liberté d’expression et dénigrement manifeste : des termes généraux comme « arnaque » peuvent relever de la critique légitime, mais des accusations précises d’« escroquerie » ou « abus de confiance » sont illicites.
Les hébergeurs et sites collaboratifs obtiennent ici une confirmation jurisprudentielle qu’un blocage territorial complet peut suffire à se conformer à une injonction de retrait en France. Cependant, cette solution doit être appliquée scrupuleusement (blocage intégral depuis le territoire concerné) pour éviter tout contournement, faute de quoi des poursuites pourraient subsister.
Source : Legalis – « Géobloquer l’accès en France de messages dénigrants vaut suppression », Baptiste Robelin, 3 juillet 2025 - info.haas-avocats.cominfo.haas-avocats.com.
🔵 États-Unis : pas de gel fédéral des lois sur l’IA
Aux États-Unis, le paysage réglementaire de l’IA reste éclaté. Le 1ᵉʳ juillet 2025, le Sénat a massivement voté (99 voix contre 1) la suppression d’une clause qui aurait imposé un moratoire fédéral de 10 ans sur les réglementations étatiques en matière d’IA. Insérée dans un vaste projet de loi budgétaire, cette mesure – soutenue par les grandes entreprises tech pour éviter un « millefeuille » de règles locales – a suscité l’opposition de nombreux élus, y compris républicains. En abandonnant ce moratoire, le Congrès permet aux États de continuer à légiférer librement sur l’IA (reconnaissance faciale, véhicules autonomes, protection des consommateurs, etc.). Décryptage : ce revers illustre la tension entre l’appel d’une réglementation unifiée – souhaitée par des acteurs comme Google ou OpenAI – et la volonté des pouvoirs publics locaux de protéger les citoyens sans attendre Washington. Des gouverneurs conservateurs ont salué la décision comme une victoire pour la protection des enfants face aux IA génératives non encadrées. Tandis que l’UE avance avec son AI Act unique, les États-Unis voient se confirmer un scénario inverse : une mosaïque de lois d’États, du Texas à New York, faute de cadre fédéral immédiat. Une situation qui pourrait compliquer la conformité des entreprises opérant outre-Atlantique, obligées d’adapter leurs outils État par État, mais aussi encourager un débat national plus urgent sur une loi fédérale d’IA.
Source : Reuters – « US Senate strikes AI regulation ban from Trump megabill », David Morgan & David Shepardson, 1ᵉʳ juillet 2025 - reuters.comreuters.com.
🔍 Zoom / Décryptage : Code de conduite IA – mode d’emploi et perspectives
Le 10 juillet, Bruxelles a lancé un Code de bonnes pratiques pour les intelligences artificielles à usage général. Premier en son genre, ce texte pédagogique vise à guider l’industrie dans la mise en conformité, tout en envoyant un signal politique fort :
« Un enjeu important est de concilier innovation et conformité : ce code volontaire offre aux fournisseurs d’IA un espace de respiration pour adopter de bonnes pratiques avant l’entrée en vigueur des obligations légales »
Genèse et objectifs. Prévu par l’AI Act, ce code de conduite vise les grands modèles génériques (LLMs, générateurs d’images…) utilisés en base par d’innombrables services. Élaboré par des experts indépendants avec l’appui de la Commission, il répond aux craintes d’une application trop brutale du règlement IA en août 2025. En clair, Bruxelles propose un pont volontaire d’un an : les acteurs qui s’y engagent publiquement pourront expérimenter la conformité dans un cadre flexible, avant le début des contrôles officiels en 2026. Cette approche pragmatique répond aussi aux appels de l’industrie : il y a quelques jours, 46 PDG européens ont réclamé un délai de deux ans sur l’AI Act, jugeant le cadre « trop flou et risqué pour l’innovation ». La Commission, sans céder sur les dates, offre avec le code une forme de « guidance » opérationnelle pour rassurer et préparer les esprits.
Contenu du code. Le document s’articule autour de trois piliers : transparence, droits d’auteur et sûreté/sécurité.
Transparence : tout fournisseur signataire devra remettre aux utilisateurs professionnels une documentation technique détaillée (architecture du modèle, données d’entraînement, limitations connues, niveaux de précision, d’énergie consommée, etc.). Objectif : permettre aux intégrateurs (startups, administrations…) d’évaluer les risques et de se conformer eux-mêmes au règlement en connaissance de cause.
Droits d’auteur : le code exige une « politique de copyright » formelle, où le fournisseur s’engage (i) à filtrer ses jeux de données pour exclure les contenus obtenus illicitement ou dont les ayants droit ont refusé l’usage, et (ii) à prévenir le plagiat dans les sorties du modèle. Cela implique par exemple d’entraîner l’IA à ne pas reproduire textuellement des œuvres protégées et à taguer (watermarker) les outputs afin de tracer les éventuels emprunts.
Sûreté & sécurité : pour les modèles les plus avancés seulement, le code recommande des tests d’attaque et d’abus réguliers (détection de biais, de failles de sécurité, de possibilités de mésusage) et la publication de correctifs. L’idée est d’instaurer une culture de « red team » continue, sans attendre les incidents.
Intérêt pratique : pour les fournisseurs d’IA (grands éditeurs ou nouvelles licornes), adhérer au code présente un double avantage : démontrer leur bonne foi aux régulateurs et utilisateurs, et bénéficier d’une reconnaissance officielle en cas de contrôle. En effet, le Bureau de l’IA de la Commission tiendra compte de l’adhésion au code comme d’un élément attestant des efforts de conformité ; on peut s’attendre à ce que les signataires subissent moins de frictions administratives (demandes de documentation allégées, audits facilités). Pour les utilisateurs (entreprises incorporant du GPT-like dans leurs outils internes, par ex.), la garantie qu’un modèle suit le code leur offre une assurance de qualité additionnelle et pourrait devenir un critère de choix dans les appels d’offre. De plus, ce code étant public, il sert de référentiel pour toutes les organisations qui préparent leurs propres politiques IA : même non fournisseurs directs, elles peuvent s’inspirer des bonnes pratiques listées (traçabilité des données d’entraînement, mécanismes de signalement des usages litigieux, etc.).
Limites. Naturellement, qui dit volontaire dit risque de non-participation ou d’application inégale. Le code n’aura d’impact que si les principaux acteurs du secteur le signent rapidement. Or, certaines grandes plateformes américaines pourraient rechigner à s’engager au-delà des obligations minimales légales ; tout dépendra du rapport coût/bénéfice qu’elles y voient. Par ailleurs, aucune sanction directe n’est prévue en cas de manquement au code – sauf à considérer qu’un signataire négligent s’exposerait à un retour de bâton lors des contrôles réels de l’AI Act. Enfin, des voix de la société civile notent que ce code, élaboré en concertation avec l’industrie, reste assez général dans ses formulations : il ne remplace pas des lignes directrices précises sur, par exemple, le niveau acceptable d’explicabilité d’un modèle ou les seuils de fiabilité requis. Ces détails devront venir d’actes délégués ou de standards techniques dans les mois à venir.
En pratique : 3 actions à considérer
Fournisseurs d’IA : évaluer dès maintenant les écarts entre vos processus actuels et les exigences du code (documenter votre modèle, filtrer vos données d’entraînement, plan de gestion des risques). Envisager de rejoindre officiellement le code pour bénéficier d’un traitement de faveur et montrer votre engagement qualité.
Utilisateurs/procureurs d’IA : dans vos contrats ou due diligences, demander si le fournisseur adhère au code. Intégrer les critères de transparence du code dans vos exigences (demande de fiches techniques du modèle, politique d’opt-out des données, etc.) afin d’améliorer la maîtrise des risques lors de l’intégration d’une IA tierce.
Juristes & compliance : suivre l’évolution de ce code (éventuelles mises à jour sectorielles, listes de signataires…). C’est un indicateur des best practices en train de se normaliser. Commencer à former les équipes à ces notions (documentation technique IA, copyright et IA, red teaming), car elles préfigureront sans doute les contrôles officiels dès 2026.
Source : digital-strategy.ec.europa.eu
📚 À lire / À voir / À écouter
À lire – RGPD et transidentité : clarifications de la CJUE. Un article bref qui revient sur un arrêt majeur de mars 2025 concernant le droit de rectification des données de genre. La CJUE a jugé qu’un État membre ne peut exiger d’une personne transgenre la preuve d’une chirurgie pour changer la mention de son sexe dans un registre public. L’analyse explique comment le principe d’exactitude des données (art. 5 RGPD) et les droits fondamentaux (intégrité, vie privée) interdisent de telles exigences disproportionnées. Intérêt pratique : ce décryptage illustre l’articulation entre RGPD et état civil, et rappelle aux juristes que toute donnée personnelle collectée (y compris le genre) doit pouvoir être rectifiée si elle n’est pas exacte au regard de sa finalité.
Source : Article « RGPD et transidentité : clarifications de la CJUE », Rédaction Auché-Hédou Avocats, 14 mars 2025 - ah-avocats.frah-avocats.fr.
À voir – « Futurs du droit et du chiffre traversés par l’IA – Une voie européenne ». Un documentaire de 52 minutes (prod. Lefebvre Dalloz, 2025) explorant comment l’intelligence artificielle transforme les métiers du droit en Europevillage-justice.com. Tourné dans cinq pays, il donne la parole à des magistrats, avocats, chercheurs et entrepreneurs sur des questions concrètes : l’accès au droit à l’ère des chatbots, la vérité judiciaire face aux deepfakes, la pérennité des cabinets traditionnels, etc. Le film met en lumière la double tendance actuelle : emballement autour des IA d’un côté, scepticisme de l’autre, et incite à un juste recul sur les changements en coursvillage-justice.comvillage-justice.com. Apport pratique : accessible et vivant, ce documentaire peut servir de support de réflexion pour les équipes (legal et IT) sur l’adaptation des modèles économiques et déontologiques du secteur juridique à moyen terme.
Source : Documentaire Futurs du droit et du chiffre traversés par l’IA, commentaires par Rédaction du Village de la Justice, 8 juillet 2025 - village-justice.comvillage-justice.com.
À écouter – RdGP : « Comment protéger nos libertés numériques ? ». Un podcast hebdomadaire dédié aux droits numériques (Rien de Grave Patron !). L’épisode du 5 mars 2025 reçoit Caroline Zorn, élue et tête de liste du Parti Pirate, qui détaille les menaces actuelles sur les libertés numériques : projet de loi dit « Narcotrafic » en France, règlement européen ChatControl sur la détection des contenus, déploiement de la vidéosurveillance algorithmique…podverse.fm Le tout replacé dans le contexte de la souveraineté numérique européenne et du droit à l’intégrité numérique des citoyens. Pourquoi écouter : dans un style accessible et engagé, ce podcast offre un tour d’horizon concret des défis techno-juridiques du moment (sécurité vs. vie privée, centralisation vs. internet libre) et évoque des pistes d’action pour mieux protéger nos données et nos droits en ligne au quotidien.
Source : Podcast RdGP – Comment protéger nos libertés numériques ?, entretien avec C. Zorn, RdGP.fr, 5 mars 2025 - podverse.fmpodverse.fm.
🎯 Conclusion
En clôture, cette semaine l’actualité montre que la régulation du numérique s’affine autant dans les principes que dans les outils concrets. Codes de conduite volontaires, guides techniques, jurisprudences nuancées – tout converge vers une meilleure lisibilité du droit pour les praticiens. Sans relâcher la pression sur les acteurs (les échéances réglementaires restent fixées), les autorités offrent des boussoles pour naviguer la conformité. Cette évolution pourrait influencer positivement les projets digitaux : en intégrant plus tôt les bonnes pratiques et retours d’expérience disponibles, entreprises et juristes transforment progressivement la contrainte légale en culture du risque maîtrisé, gage d’innovation durable dans l’écosystème numérique.